"L’humour
était un des talents travaillés entre les murs de la Maison sur la
Pente, mais le principal enseignement consistait à faire maîtriser
par les nouveaux adeptes les mille et une façons de tuer son
semblable et toutes les techniques et savoir-faire qui étaient
utiles pour y parvenir, dont l’anatomie et la médecine, la
maîtrise des fleuves qui irriguaient les organes, la conception des
poisons et l’art d’apprêter les mets, le lancement des aiguilles
de fer, le maniement du sabre… et les divers moyens pour
disparaître après l’acte. Les résidents de ce monastère étaient
connus sous le nom de Guerriers-Nuages. On les appelait aussi les
Tueurs Rouges. Les paysans de la montagne préféraient les nommer
les Danseurs des Brumes ou Ceux de la Maison." Danser
dans le brouillard. Gorve. Livre 1
D'où
viennent les histoires ?
Le conteur peut toujours se vanter,
dire qu'il a mâchouillé son porte-plume pour en extraire le suc,
caressé sa muse dans le sens des plumes, collecté au fond des
forêts des vieilles histoires de sorcières, jeté des pièces dans
tous les troncs et pour tous les dieux surtout celui de la page
blanche.
C'est vrai.
Ou,
il suffit d'écouter le bavardage du monde.
Les personnages sont debout dans la ville, ils sortiront de ces corps
et entreront dans le livre.
La parlerie niche dans tous les coins, dans
les plus communs des communs, dans les commodités.
Deux
gars sous la lune. (inédit)
— C’est
le troisième Al !
— Et pas encore
de grosse commission !
Les
deux hommes se tassaient dans
le petit édicule fixé sur la façade du château de Bourl le gras.
Pour ainsi dire entre lune et Gorve, puisque le fossé se
trouvait six stances en
dessous et qu’au-dessus à un bras et demi, il y avait le
couvercle en bois qui fermait les latrines.
Ce qu’ils
faisaient là avait à voir avec une histoire d’amour, mais de
loin. Pour résumer, parce que nous sommes pressés, nous dirons
qu’un des deux larrons, Matt le plus petit, celui avec la moustache
fine et le bouc encore plus fin, s’était amouraché d’une fille
de la noblesse délatine qu’il avait entraperçue se brossant les
cheveux à contre-jour au crépuscule. Son camarade Alyser, lui avait
dit ce soir-là : « Tu la vois à contre-jour, tu ne peux
pas tomber amoureux ! », le plus petit des deux voleurs
avait alors répondu « Je ne suis pas certain de son minois
par contre, un éclat comme celui-ci, ce ne peut être qu’une
Pierre du Solstice ».
Cette
fois-ci c’était une grosse commission.
Le grand
voleur se tassa encore plus sous le bras du plus petit. L’étron
tomba d’abord puis un copieux jet d’urine. La lumière du jour se
fit un instant puis de nouveau l’ombre nauséabonde. Dans le peu de
lueur qui parvenait jusqu’à leur réduit, Alyser ne put manquer
toutefois de voir la trace brunâtre qui marquait le front de son
collègue, il fit la grimace.
— Je
sais ! dit Matt, par contre toi tu ne l’as pas vue !
Magnifique !
— Quatre !
Il serait souhaitable que Graine de Sorge ne tarde plus. Sinon !
Ils
restèrent un temps silencieux puis Alyser le grand type sans trace
brunâtre sur le front dit :
— Une
Pierre du Solstice ?
— Ouais !
Matt poussa
doucement le couvercle de bois et entra dans les latrines, son
camarade se glissa à ses côtés peu après.
— Tu
sens vraiment la pisse, Al !
— Ils
sentent la même chose, la sueur, l’urine et le mauvais vin. On
passera inaperçu !
C’est
alors que la porte s’ouvrit et ce n’était pas Graine de Sorge.
La
demoiselle hurla en voyant les deux hommes puis Matt la tira à
l’intérieur. Il y eut une sorte de scène burlesque lorsque le
voleur tenta de la bâillonner la jeune fille qui essayait de fuir
alors qu’Alyser exécutait une série de petites frappes sur les
points des fleuves amenant à l’inconscience, c’est à dire de
nombreux endroits parfaitement inconvenants. Il y eut aussi un
remue-ménage de mouvements de l’autre côté de la porte. La garde
alertée par le cri, lançait son protocole : apostrophe virile,
bruit d’armes, rodomontade, piétinement...
— Ça
sent mauvais Matt !
L’autre
grimaça. Alyser avait réussi à endormir la belle. Le petit voleur
ouvrit l’abattant.
— Elle
pourra au moins couvrir nos arrières.
— Si
encore on peut les atteindre !
Matt hocha
la tête d’agacement :
— Arrête
avec tous tes jeux de mots merdiques !
Peu après
une chiabrena longue et fine dégringolait des remparts jusqu’au
fossé. Les deux voleurs se laissèrent glisser jusqu’au sol
souillé, rappelèrent prestement leur câble puis ils se mirent à
courir comme si...
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